Interview paru en français, auf Deutsch e in italiano dans le journal Syndicom, n° 2, 20.2.2015
La Poste Suisse connaît des changement colossaux depuis la libéralisation du secteur dans les années 1990. Le travail est l’objet d’une réorganisation permanente, avec les cadences et la productivité qui tendent à augmenter. Quel est l’impact sur les employés ? Comment La Poste prend en compte la santé des postiers ? Que fait-elle des malades et des accidentés ? Nous en avons discuté avec le sociologue Nicola Cianferoni. Propos recueilli par Yves Sancey.
La libéralisation du secteur postal et l’augmentation de la productivité ont accru la pénibilité du travail. Quelles sont les répercussions sur la santé des postiers ?
On peut effectivement supposer que la pénibilité a impact négatif sur la santé, bien que cela soit difficile à mesurer scientifiquement. Pour mieux appréhender à quel moment il y a une dégradation de la santé et le rôle qu’y joue le travail, il faudrait des études avec une approche longitudinale permettant de suivre les personnes sur la durée.
Vous avez présenté une enquête sur le travail des facteurs à La Poste. Qu’est-ce qu’elle a permis de mettre en évidence?
Mes recherches dans un centre de traitement des lettres ont fait apparaître l’expression d’un malaise prenant la forme d’une souffrance au travail. Les témoignages indiquaient une forte augmentation des cadences, notamment avec l’introduction du scanner et de la polyvalence, lesquels induisent une pression à la performance et paradoxalement une autonomie amoindrie.
Quelle est la source de cette souffrance au travail?
L’introduction de la polyvalence, qui peut être enrichissante si elle permet de développer des ressources pour y faire face, a été introduite pour que les salarié-e-s, considérés interchangeables, puissent adapter chaque jour l’organisation de leur team aux fluctuations du courrier. Le facteur, auparavant titulaire d’une tournée, sait que son pair ne connaît pas les besoins spécifiques de « sa » clientèle. Les sentiments d’impuissance et de dépossession éprouvés à l’égard de la réorganisation du travail tendent à prendre le pas sur la maîtrise du travail, ce qui génère des souffrances profondes. Il faut garder à l’esprit que par leur mission historique de service public, les relations que les postiers entretiennent avec les usagers reste l’un des principaux ressorts du sens qu’ils attribuent à leur travail.
Les postiers en rendent-ils responsable leur hiérarchie ?
Ce n’est pas ce que j’ai pu observer. En effet, les conflits au sein de La Poste tendent à prendre une forme plus « horizontale » que « verticale ». Ce n’est plus l’organisation du travail que les salarié-e-s tiennent pour responsables de leurs souffrances, mais les collègues. On parle alors de psychologisation des rapports sociaux. Avec les contraintes de l’organisation du travail en flux tendu, les absents sont stigmatisés par les facteurs contraints d’effectuer le travail à leur place.
Difficile alors de tomber malade…
Certains n’osent en effet plus se faire porter malades pour éviter la pression de la part des collègues et des supérieurs. Face à ce problème, 64,8% des salarié-e-s que j’ai interrogés par questionnaire affirment avoir déjà renoncé ou différé une visite chez le médecin, de crainte de nuire à l’activité du team par leur absence.
Comment La Poste gère-t-elle les absences?
La Poste dispose d’un outil pour la gestion des absences, « pro présence », visant à identifier les salarié-e-s dont l’état de santé est susceptible de se dégrader. Les travailleurs concernés sont contraints de livrer un certain nombre de données personnelles sur leur état de santé, ce qui comporte de fait le déliement du secret médical sous certains aspects. Les salarié-e-s doivent aussi accepter des mesures de réadaptation ou, de plus en plus rarement, de réaffectation. Dès lors, il y a une pression qui existe sur les salarié-e-s malades ou absent-e-s. Même si cette pression n’est pas forcément explicitée par les cadres, elle tient son origine dans la crainte d’être mis sur une « liste noire » si l’absence est trop longue.
Les cadres exercent-ils des pressions en ce sens ?
J’ai pu prendre connaissance de cas où la hiérarchie a fait pression pour que les salarié-e-s regagnent leur poste plus vite que la guérison ne l’aurait exigé, parfois même contre l’avis du médecin. Cette pratique, discutable, peut bien évidemment se révéler contre-productive, car elle peut compromettre le rétablissement complet lorsque le retour est prématuré.
La Poste estime pourtant que «pro présence» a été mis sur pied pour promouvoir la santé de son personnel.
Mon enquête met en lumière une autre réalité. «Pro présence» tend à individualiser tous les aspects relevant de la santé, laquelle est abordée principalement en termes de coûts pour l’entreprise. L’amélioration des conditions de travail n’est plus qu’un vœu pieux. La Poste explique dans ses rapports de gestion que les maladies et les accidents génèrent des coûts qui nuisent à sa compétitivité. On peut se demander si ces programmes ne comportent pas le danger de mettre à l’écart les salarié-e-s dont le risque d’absences est estimé plus élevé. Dans ce contexte, il serait bienvenu dans l’intérêt du personnel que les militant-e-s syndicaux investissent davantage la santé sur les lieux de travail, dans le but de ne pas la laisser exclusivement à l’employeur.
Pour une meilleure prise en charge de la santé des postiers, quelles pistes voyez-vous ?
Des recherches pour améliorer la connaissance des situations favorables et défavorables à la santé devraient être encouragées par La Poste. Une approche longitudinale permettrait de mieux connaître les parcours personnel et professionnel, afin de comprendre le rôle de la réorganisation du travail dans l’évolution de la santé du personnel. Il serait également utile d’instituer une commission d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail, dont la composition et le fonctionnement soient indépendantes de l’employeur. Composée de salarié-e-s et d’experts choisis par eux, cette structure permettrait une meilleure prise en charge de la santé sans qu’elle soit instrumentalisée dans un rapport entre coûts et bénéfices pour l’entreprise, à l’instar du programme « pro-présence » . Reste à résoudre le problème de l’intensification du travail, notamment tributaire de la réglementation de la concurrence, ce qui en fait une question d’ordre politique.
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Ein tiefes Ohnmachtsgefühl
Die Schweizerische Post erfährt seit den 1990er-Jahren einschneidende Veränderungen. Die Arbeit unterliegt einer kontinuierlichen Neuorganisation: das Arbeitstempo und die Produktivität steigen stetig. Wie wirkt sich das auf die Gesundheit der Angestellten aus? Wie nimmt die Post Rücksicht auf die Gesundheit der Postangestellten? Der Soziologe Nicola Cianferoni ist diesen Fragen anhand einer Erhebung nachgegangen. Interview: Yves Sancey. Übersetzung: Syndicom.
Sie haben eine Befragung zur Arbeit der BriefzustellerInnen bei der Post durchgeführt. Was kam heraus?
Meine Untersuchungen in einem Briefzentrum ergaben, dass ein Unbehagen besteht, und dass bei der Arbeit gelitten wird. Was ist die Ursache für dieses Leiden bei der Arbeit?
Die Befragten gaben an, dass das Arbeitstempo stark gestiegen ist, namentlich mit der Einführung des Scanners und der «Polyvalenz», was den Leistungsdruck erhöht und paradoxerweise die Eigenständigkeit vermindert. Die Polyvalenz, die bereichernd sein kann, wenn die dafür nötigen Ressourcen freigesetzt werden können, wurde eingeführt, damit die – als austauschbar betrachteten – Mitarbeitenden die Organisation ihrer Touren jeden Tag auf die Postfluktuation abstimmen können. Der Briefträger, der früher für eine Tour zuständig war, kannte die spezifischen Bedürfnisse «seiner» Kundschaft. Heute ist das nicht mehr gewährleistet. Das angesichts der Neuorganisation der Arbeit empfundene Ohnmachtsund Enteignungsgefühl entzieht die Kontrolle über die eigene Arbeit, was tiefes Leid verursacht. Man darf nicht vergessen, dass die Beziehungen, welche die Postangestellten mit ihrer Kundschaft pflegen, aufgrund der historischen Rolle als Service public immer noch einen der wichtigsten sinnstiftenden Faktoren darstellen.
Machen die Postangestellten ihre Vorgesetzten dafür verantwortlich?
Nein, das konnte ich weniger beobachten. Die Konflikte bei der Post verlaufen tendenziell eher horizontal als vertikal. Die Arbeitnehmenden machen nicht die Arbeitsorganisation für ihr Leiden verantwortlich, sondern die Kolleginnen und Kollegen. Man spricht hier auch von Psychologisierung der sozialen Beziehungen. Mit den Vorgaben der Just-in-Time-Organisation ziehen Abwesende den Zorn der Angestellten auf sich, die einspringen müssen.
Krank werden ist also schwierig?
Manche getrauen sich tatsächlich nicht mehr, sich krank zu melden, weil sie dem von KollegInnen und Vorgesetzten ausgeübten Druck ausweichen wollen. 64,8 Prozent der Arbeitnehmenden, die ich mittels Fragebogen befragt habe, gaben an, schon einmal einen Arzttermin gestrichen oder verschoben zu haben, und zwar aus Angst, mit ihrer Abwesenheit der Arbeit des Teams zu schaden.
Wie geht die Post mit Absenzen um?
Die Post verwendet für das Absenzen-Management das Tool «ProPräsenz»: Damit sollen Arbeitnehmende ermittelt werden, deren Gesundheitszustand sich zu erschlechtern droht. Die betroffenen Arbeitnehmenden sind gezwungen, bestimmte persönliche Daten zu ihrem Gesundheitszustand zu liefern, was eine Entbindung vom Arztgeheimnis bedeutet. Die Arbeitnehmenden müssen auch Rehabilitationsmassnahmen oder Neuzuteilungen hinnehmen. Dadurch entsteht ein Druck auf kranke oder abwesende Arbeitnehmende. Auch wenn dieser Druck von den Führungskräften nicht unbedingt explizit ausgeübt wird, ist er durch die Angst, bei zu langer Absenz auf eine Schwarze Liste gesetzt zu werden, doch vorhanden.
Üben Führungskräfte Druck in diesem Sinne aus?
Ich habe Kenntnis von Fällen, wo die Vorgesetzten Druck ausgeübt haben, damit die Arbeitnehmenden schneller an ihren Arbeitsplatz zurückkehren, als die Heilung das eigentlich zulassen würde, manchmal sogar gegen die Empfehlung der Arztperson. Diese fragwürdige Praxis kann natürlich kontraproduktiv sein, denn es kann die vollständige Genesung gefährden, wenn die Rückkehr an den Arbeitsplatz zu früh erfolgt.
Die Post vertritt jedoch den Standpunkt, dass «ProPräsenz» zur Gesundheitsförderung der Mitarbeitenden eingeführt wurde.
Meine Umfrage bringt eine andere Realität ans Licht. «ProPräsenz» bewirkt eine Individualisierung aller gesundheitlichen Aspekte, die hauptsächlich als Kostenfaktor für das Unternehmen gesehen werden. Die Verbesserung der Arbeitsbedingungen ist nur noch ein frommer Wunsch. Die Post erklärt in ihren Geschäftsberichten, dass Krankheiten und Unfälle Kosten verursachen, die ihrer Wettbewerbsfähigkeit schaden. Man kann sich fragen, ob bei diesen Programmen nicht die Gefahr besteht, dass Arbeitnehmende, deren Absenzenrisiko als höher eingestuft wird, ins Abseits gestellt werden. Es läge im Interesse der Arbeitnehmenden, dass Gewerkschaftsaktivistinnen und -aktivisten das Thema Gesundheit am Arbeitsplatz vermehrt aufnehmen, um das Feld nicht ausschliesslich dem Arbeitgeber zu überlassen.
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«Il sentimento d’impotenza genera sofferenze profonde»
La Posta Svizzera ha conosciuto enormi cambiamenti dopo la liberalizzazione del settore, negli anni 90. Il lavoro è soggetto a una permanente riorganizzazione, con ritmi e produttività che tendono ad aumentare. Qual è l’impatto sui dipendenti? La Posta prende in considerazione la salute degli impiegati postali? Che ne fa dei malati e degli infortunati? Ne abbiamo parlato con il sociologo Nicola Cianferoni. Intervista: Yves Sachey. Traduzione: Syndicom.
La liberalizzazione del settore postale e l’aumento della produttività hanno accentuato i disagi sul lavoro. Quali sono le ripercussioni sulla salute degli impiegati postali?
Si può, in effetti, supporre che il disagio abbia un impatto negativo sulla salute, anche se è difficile da “misurare” scientificamente. Per meglio comprendere in quale momento si verifica un degrado della salute, e il ruolo che il lavoro riveste in questi casi, sarebbero necessari degli studi con un approccio “longitudinale” che permetta di seguire il personale a lungo termine.
Lei ha presentato un’inchiesta sul lavoro dei portalettere presso La Posta. Cosa ha potuto mettere in evidenza?
Le mie ricerche presso un centro di elaborazione delle lettere hanno messo in luce l’espressione di un malessere sotto forma di disagio sul lavoro. Le testimonianze indicavano un forte aumento dei ritmi, soprattutto con l’introduzione dello scanner e della polivalenza, che producono pressione sul rendimento e, paradossalmente, una riduzione dell’autonomia.
Qual è l’origine di tale disagio sul lavoro?
La polivalenza, che può essere un arricchimento, se permette di sviluppare le risorse necessarie per farvi fronte, è stata introdotta affinché i dipendenti, considerati intercambiabili, potessero adattare ogni giorno l’organizzazione del loro team alla fluttuazione della posta. Il postino, che prima era di ruolo e quindi responsabile di una zona, sa che il suo pari non conosce i bisogni specifici della “sua” clientela. I sentimenti d’impotenza e di esproprio evocati dalla riorganizzazione del lavoro tendono a prevalere sulla padronanza del lavoro stesso, e questo genera delle sofferenze profonde. È necessario tener presente che, nel corso della storica missione di servizio pubblico, le relazioni intrattenute dai portalettere con gli utenti costituiscono uno dei principali aspetti del senso che essi attribuiscono al loro lavoro.
I postini attribuiscono la responsabilità alla loro gerarchia?
Non è ciò che ho potuto osservare. In realtà i conflitti in seno a La Posta tendono ad assumere una forma piuttosto “orizzontale” che “verticale”. Non è tanto l’organizzazione del lavoro, che i dipendenti ritengono responsabile del loro disagio, quanto i colleghi. Si parla allora di “psicologizzazione” dei rapporti sociali. Vincolati dall’organizzazione del lavoro a ritmi serrati, gli assenti sono stigmatizzati dai colleghi, costretti a svolgere il lavoro al loro posto. Difficile allora ammalarsi… Qualcuno, in effetti, non osa nemmeno più assentarsi in caso di malattia, onde evitare la pressione da parte dei colleghi e dei superiori. Di fronte a questo problema, il 64,8% dei dipendenti, che hanno risposto a un mio questionario, affermano di aver già rinunciato ad una visita medica, o di averla differita, per paura di nuocere, con la loro assenza, all’attività del team.
La Posta come gestisce le assenze?
La Posta dispone di uno strumento per la gestione delle assenze, definito “pro presenza”, tendente a identificare i dipendenti la cui salute è suscettibile di degrado. Gli stessi sono poi costretti a fornire un certo numero di dati personali sul proprio stato di salute, cosa che, di fatto, comporta per certi aspetti lo svincolo dal segreto medico. I dipendenti devono anche accettare misure di reinserimento o, sempre più raramente, di ricollocamento. Si crea così una forte pressione sui dipendenti malati o assenti. Anche se tale pressione non è necessariamente proclamata dai quadri, la fonte rimane la paura di essere iscritti in una “lista nera”, se l’assenza è troppo prolungata.
I quadri esercitano delle pressioni in questo senso?
Ho avuto modo di venire a conoscenza di casi in cui la gerarchia ha fatto pressione, affinché il dipendente ritornasse al lavoro prima del tempo a lui necessario per guarire, talvolta addirittura contro il parere medico. Evidentemente, tale discutibile pratica si rivela controproduttiva, poiché può compromettere il completo ristabilirsi del dipendente, nel caso di un rientro al lavoro prematuro.
Tuttavia La Posta valuta che lo strumento “pro presenza” è stato introdotto per promuovere la salute del proprio personale.
La mia inchiesta porta alla luce un’altra realtà. “Pro presenza” tende a individuare tutti gli aspetti rilevanti della salute, la quale è considerata principalmente in termini di costi per l’impresa. Il miglioramento delle condizioni di lavoro non è che un pio desiderio. La Posta, nelle sue relazioni gestionali, spiega che le malattie e gli infortuni generano costi che nuocciono alla sua competitività. Ci si può chiedere se questi programmi non comportino il pericolo di mettere da parte i dipendenti il cui rischio di assenze sia stimato più elevato. In questo contesto, sarebbe opportuno, nell’interesse del personale, che i militanti sindacalisti attribuiscano maggiore importanza alla salute sul posto di lavoro, al fine di non lasciarla gestire esclusivamente al datore di lavoro.